Tous les articles par P-O et Danièle Gaudard

Norvège à ski: aventures à Voss, 2-7 avril 2024

Retour à Oslo, température douce, et ambiance presque printanière nous y attendent. Le lendemain, départ avec notre sac à skis complet et la valise pour l’ouest par le train traversant les « montagnes » ou plutôt le haut plateau, notamment à Finse, que nous avions beaucoup aimé en été.

A Voss, nous prenons possession de notre appartement AirBnB et notre flls Joseph arrive rapidement. Soleil et prévisions mauvaises pour les jours suivants, donc départ immédiat pour une randonnée à skis de 17h à 20h. Je n’ai que très peu skié tous ces derniers hivers pour différentes raisons de santé, ne suis pas du tout à même de faire une vraie randonnée à peaux de phoque; accepter c’est m’épargner le temps de me poser des questions et retrouver Joseph dans son élément. Mais quel départ !

Plus haut, les pins et les bouleaux s’espacent et nous avons la vue sur les montagnes avec une magnifique lumière de fin d’après-midi. Nous sommes au nord, les jours et les ombres s’allongent, splendide ! Mes deux hommes vont jusqu’à un sommet, le Horn à 1103 mètres d’altitude, accélérant le rythme pour ne pas être pris par le « regel » et la nuit.  La descente est agréable tant que nous sommes au-dessus de la forêt; puis tout se complique ! Je finis à pied, en m’enfonçant plus ou moins, choyée par notre guide qui zigzague entre pins et ruisseaux en snowboard, mes skis à la main. La vue, la lumière étaient parfaites pour découvrir le ski à la norvégienne.

Suivent deux jours de temps gris, parfois ventés. Nous visitons le « Folks Museum » constitué par un ensemble de fermes intactes, et une exposition sur l’histoire et les traditions de Voss.

Costumes pour un mariage
Chopes de bière

Station de sport été comme hiver, berceau de médaillés olympiques, son développement est entièrement lié à la construction de la voie ferrée, amenant les premiers touristes venant pêcher le saumon, l’armée et sa base de parachutistes puis les skieurs lors de la construction du téléphérique. Nous sommes sur les hauts de Voss, il vente fort par un froid humide et le chauffage du bâtiment d’exposition est à l’arrêt pour des travaux. Transis, après la visite, nous rentrons et ne prendrons pas le téléphérique.

Vendredi, randonnée à skis, l’objectif pour le départ est la fin d’une petite route forestière à 415 m. d’altitude, au-dessus du fjord d’Hardanger, ce qui signifie déjà une montée raide à partir d’Ulvik (au bord du fjord donc à 0 mètre d’alt.). De plus en plus pentue, la route devient enneigée ou plutôt glacée. La voiture 4×4 patine à sa guise, s’arrête puis glisse à reculons assez rapidement, se met en travers pour glisser latéralement en touchant de temps à autre les petits murs de neige de chaque côté. Nous nous arrêtons vers une petite place de parking sans dégâts ou presque, à 350 m. d’altitude, et maintenant ? Nous repartons sur la même route, pour notre point de départ, à skis « peautés » et avec les crampons pour moi qui n’aime pas la glace, puis trouvons l’itinéraire grimpant entre les arbres.

Nous progressons en nous tortillant entre souches, troncs, ruisseaux et vieilles traces gelées pour rapidement gagner plus d’espace. Le ciel devient bleu, la neige s’améliore et la vue sur les montagnes tout autour de nous s’ouvre, très lumineuse. Nous voyons par moment le Midtjfellet, montagne qui est notre objectif, point culminant d’une longue et large crête en pente douce, l’autre face plongeant en falaise jusqu’au fjord. Les pentes sont peu raides, mais toujours bien assez pour moi, nous sommes dans un paysage ouvert, blanc, quelques grosses congères; une sorte de plateau où l’itinéraire que Joseph nous trace passe entre des mamelons. L’ensemble du paysage devient grandiose, peu de sommets nous dominent; d’autres chaînes de montagnes au loin sont visibles sur 360 degrés.

Je progresse très lentement, toujours avec mes couteaux, nous montons face à la pente, mais le sommet n’est plus visible et n’en finit pas d’être à 300, 150…50 mètres de dénivellation. Nous arrivons au cairn du Midtjfellet, la vue… un choc, incroyable, d’un coup à quelque trois mètres du cairn. Nous voyons les bras du fjord 1256 mètres plus bas sur trois côtés, juste en-dessous de nous, le 4ième étant celui par lequel nous sommes arrivés.

Le cairn, un plateau de quelques mètres, des cailloux dépassant éliminant la peur d’enfreindre la limite avec une corniche, me permettent d’admirer la vue très sereinement. Course des plus faciles pour les habitués de la peau de phoque, moi je suis très émue et ai un immense plaisir à me trouver là.

Subitement, le ciel n’est plus si bleu, le temps de se préparer et c’est le jour blanc total pour la descente. Nous ne voyons vraiment rien, vagues de neige soufflée et durcie, congères, plus aucune notion de la pente au point de complètement nous déséquilibrer à l’arrêt. Au départ, nous arrivions encore à admirer les bras de fjords, et à skier avec vue sur la mer, le mythe norvégien! La visibilité s’améliore en rejoignant les arbres mais la neige est totalement dure, parcourue de vieilles traces. Je ne prends aucun risque, je termine à pieds et même en crampons sur la route qui n’a que partiellement dégelé.

J’ai vraiment vécu une journée exceptionnelle, avec les montagnes rondes aux formes de soucoupes volantes, les nombreuses autres chaînes au-delà du fjord, la vue au sommet absolument fantastique, et le sentiment quand même que les conditions ne seront pas forcément souvent réunies pour réitérer une telle expérience. A pied d’œuvre avant 10h, nous serons de retour à la voiture avant 17h., un record de lenteur pour un dénivellé d’un bon 900 m., mais qu’importe, nous en avons plein les yeux, et avons redoublé de prudence dans la ouate puis dans les traces gelées. Ici, c’est le plaisir de s’immerger dans la nature grâce à nos skis, et non de dompter la nature pour améliorer nos descentes.

Le samedi, par un temps gris, nous tentons de la visite en voiture, nous rendant aux cascades de Voringfossen, mais la visite du site est totalement limitée par la neige. Le soleil du matin fait place à un temps maussade, l’apéro et le souper s’imposent comme le meilleur plan.

Le Midtjfellet vu du fjord, sommet au-dessus de la falaise

Nous avons pu skier à peaux de phoque deux fois et prendre du temps ensemble, un bon séjour au vu de la météo peu généreuse en soleil.

L’opéra d’Oslo vu depuis le 13ème étage du musée Munch.

Retour à Oslo le dimanche, et nous filons soigner notre culture générale au musée Munch. Le bâtiment et la vue sont superbes. Munch est un artiste torturé dont certains tableaux nous ont interpellés. Puis départ en ferry pour Kiel le lundi; après nos neiges et nos chemins de toutes sortes, souper feutré avec vue sur la mer et pianiste; Tina Turner, ABBA, rock et twist en fin de soirée, changement de tableaux, charme du voyage, et toujours les regards sur nos chaussons cabane ! Notre séjour se terminera mercredi soir si aucun transport n’a de retard, sinon jeudi, la montée à notre alpage en transports publics ne pouvant pas être tardive.

Nos attentes en termes de ski et de neige auront été comblées, malgré une météo mitigée. Le calme, l’atmosphère de ce pays permet un retour profond à la nature, et nous rentrons de vacances gastronomiques, un imprévu !

Norvège à ski de fond: une semaine à Bessheim, 26 mars – 1er avril 2024

A Otta  c’est le papa de l’hôtelière de Bessheim qui nous attend à notre descente de bus. 70 km nous attendent, assez pour nous donner quelques explications et nous présenter la famille. L’hôtel est un ancien alpage (« summer farm ») de la famille. Vers 1900, quand la Norvège était un des pays les plus pauvres d’Europe, le bétail était monté à l’alpage en été comme partout. Mais en plus, les bêtes remontaient à la ferme toujours appelée « summer farm » pour l’hiver. Durant la belle saison, des mousses, des feuilles et autres végétaux étaient ramassés et dans cette région où les alpages étaient très éloignés, il était plus facile de remonter le bétail à la fin de l’automne que de descendre ces nourritures récoltées. Les « summer farm » étaient finalement plus grandes que les fermes principales de plaine. Au milieu du 20ième s., certains de ces alpages  ont commencé à avoir une partie hôtelière. Les transhumances ont cessé par le développement de grandes halles de stabulation libre pour les vaches laitières et seules les vaches allaitantes, et les bêtes destinées à la production de viande continuent de transhumer. Nous n’avons toutefois vu aucune de ces grandes étables dont notre chauffeur nous parle. Il est avocat, âgé de 75 ans, et donne des coups de main à sa fille. Cet hôtel familial a été développé par son arrière grand-mère et a été tenu surtout par des femmes. Il se présente comme le maillon manquant, son père ayant transmis l’hôtel à sa fille. Il habite dans la ferme de plaine, ou un autre beau-fils gère l’activité agricole, l’orge étant la seule céréale cultivable dans cet environnement où la belle saison est courte. Forts de toutes ces explications, nous arrivons à cette ferme devenue hôtel : un bâtiment rectangulaire auquel nous n’aurions jamais attribué un passé fermier !

Au cours des jours suivants, nous réalisons progressivement que cet établissement est connu pour sa gastronomie mettant en valeur les produits locaux, des habitués y viennent d’année en année. L’hôtel a été complété par des « cabines », chalets  de vacances pour familles ou groupes, dont les résidents viennent manger le soir à l’hôtel.

Pâques approche, le lundi soir, nous sommes quelques dizaines à déguster un pot au feu de renne délicieux. Le mardi soir, les chalets se sont remplis, un buffet est mis en place; le chef de cuisine en personne découpe filets et gigots de renne, pièces d’élan, agneaux de la ferme; tout est parfait, une cuisine maison, du beurre aux herbes, au pain croustillant, les compotes et confitures de rhubarbe, de myrtilles et d’airelles sont délicieuses.

Ce chef de cuisine à la stature imposante n’est autre que l’époux de l’hôtelière, elle aussi très présente et toujours souriante. Nous sommes les seuls étrangers, aux petits soins pour une semaine. Mais nous, nous sommes venus ici parce que c’est la porte d’entrée du parc du Jotunheimen, donc dans l’idée d’une semaine sportive aussi !

Le mardi matin, soleil, nous partons à ski de fond, traversons le lac et skions dans les contreforts des premières montagnes. La vue sur les sommets aux alentours est splendide, mais cela grimpe vite et nous affrontons une petite descente un peu raide pour nous. Nous croisons d’autres skieurs, presque tous à peaux de phoque. Ils peinent au plat, nous peinons à la descente. Ici la nature est intacte, à chacun de s’adapter pour en profiter.

Dans un camping, les enfants ont amélioré un tertre pour s’exercer. La nature est grandiose et c’est avec joie que j’ai l’impression de m’y plonger sans la modifier. Difficile ou impossible d’avoir l’équipement adéquat en tout temps: sur les plateaux, nos skis courts et compacts ne glissaient pas comme des skis plus longs et fins, dans la forêt, ils étaient plus maniables mais des arêtes auraient été bienvenues et là, nous sommes dans un magnifique environnement de montagnes, sans aucune infrastructure, un univers offrant apparemment des sorties à peaux de phoque sans danger pour gagner les premiers plateaux vers 1300m. Nos skis de randonnée sont à Oslo, pourquoi ne pas rêver de revenir un autre hiver ?

Le lendemain, il neige, le long du lac nous ne rencontrons que deux skieuses. Le jeudi, nous gagnons un autre lac, deux bateaux y sont carrénés, posés sur la glace, nous pouvons pique-niquer dans un hôtel, avant de revenir pour le tour de notre lac.

Malheureusement, un coup de chaud arrive et vendredi la neige est molle. Mais le soleil du matin nous permet de découvrir les sorties familiales, bébé dans la pulka, couverture et même peau de renne pour s’installer pique-niquer dans la neige au soleil. Nous rejoignons un petit rocher pour nous installer sur nos plastiques à bulles et prendre le soleil. Les traces ramollies nous guident moins lors des descentes, de plus beaucoup de familles ont des chiens qui montrent beaucoup d’enthousiasme dans la neige mais n’améliorent pas les traces; nous nous offrons donc quelques belles sorties de piste, filant tout droit au lieu de suivre les courbes. Le ski est plus ludique et sportif qu’à Gålå, aux multiples possibilités bien tracées.

Samedi, heureux du soleil nous partons de bon matin sur le lac; faux départ, les traces profondes et molles de la veille ont gelé. Nous rebroussons chemin et petite surprise:  deux rennes bien accompagnés sont là, l’un tirant un traîneau destiné aux enfants pour un tout petit parcours, l’autre juste là pour être caressé, un vieux mâle venant d’avoir perdu ses bois, au tempérament exceptionnellement calme d’où sa longue vie comme renne « domestique ». 

Son « maître » travaille pour l’entreprise possédant les quelque 2300 rennes de la région et nous désigne les pâturages d’été, en amont sur les montagnes, et ceux d’hiver, en aval. Son travail est de les garder sur les terres louées qui leur sont destinés. Le cheptel atteint presque 4000 têtes avec la naissance des veaux. Les femelles sont gardées environ 10 ans et les mâles une année et demi, c’est-à-dire une saison de reproduction. L’abattage des quelque 1500 bêtes fournit 50000 kilos de viande annuellement. Notre chef cuisinier nous avait bien précisé que la viande de renne que nous mangeons ne venait pas de loin, comme les myrtilles et les truites saumonnées, apprêtées de bien des façons pour le souper de fête du samedi soir. Mais avant, d’autres petites surprises pour ce samedi de Pâques : une piste avec tremplins aménagée pour les enfants et un barbecue de saucisses dehors sur la terrasse, que nous dégustons assis bien au chaud sur des peaux de rennes.

Repas du samedi soir, l’hôtelière et sa nièce en costume, tout le monde est servi en même temps, repas plus cérémonial et convivial aussi. Le dimanche par contre, rien de spécial n’est organisé. Un client se lève pour remercier toute l’équipe et dire que c’est son 40ième Pâques chez eux.

Le soir un orchestre de 4 musiciennes et un musicien, trois accordéons très différents, une contrebasse et une chanteuse s’accompagnant à la guitare joue largement jusqu’au matin du folklore d’alpage un peu et surtout du folk américain, Johnny Cash par exemple. Quelques excellents danseurs parmi ces skieurs, le public répond, plus l’heure avance, plus de jeunes s’occupant du service rejoignent le public. La chanteuse a une magnifique voix, l’ambiance est excellente mais danser le twist en chaussons cabane sur un parquet glissant n’est pas aisé. La chanteuse nous offre évidemment un peu de Jodel.

Le lendemain, il neige à gros flocons, le vrai hiver est-il de retour ?

Non, le soleil revient et nous voilà repartis glisser jusqu’aux belles lumières de fin d’après-midi.

Pour notre retour à Otta, Kari, la patronne elle-même nous amène, l’occasion de discussions intéressantes et de renforcer ce sentiment d’avoir été chaleureusement reçu. En automne, son mari achète les rennes, abattus sur place dans un camion, après avoir été rassemblés; ces bêtes ne reçoivent absolument aucun antibiotique ni supplément alimentaire. Les chevreuils et les élans sont chassés. Les viandes sont donc préparées et conservées  par leur soins. Le prédateur principal des veaux de rennes et des agneaux est l’aigle. Le loup est tiré, pas toléré dans cette région; par contre il est protégé le long de la frontière suédoise, zone de protection de la faune; cette politique pose de sérieux problèmes aux Samis, qui sont justement dans des régions à la frontière et voient leurs troupeaux décimés. Kari me parle aussi de son plaisir de travailler avec les jeunes de la région, qui reviennent année après année assurer le service pendant la haute saison d’été et de Pâques et deviennent très compétents, bien que ce ne soit souvent qu’un travail accessoire d’étudiant. Ils sont logés sur place, et c’est aussi leur première expérience de vie en groupe loin de la maison. Bessheim est à 55 kilomètres de la première école, 40 kilomètres de la prochaine localité, mais superbement bien situé pour le ski: ski de fonds de février à Pâques, puis en 15 minutes de voiture la possibilité de se rendre à 1400m. et de rejoindre un plateau pour le ski de fond et le « kite ski » (ski avec un cerf-volant) ainsi que le départ de courses à peaux de phoque jusqu’aux sommets à plus de 2000m., et ceci jusqu’en mai. La région étant très sèche pour la Norvège, pas ou peu de neige à Noël et en janvier et…. des maisons bien conservées et protégées dont quelques-unes ont 400 ans. Nombre d’anciens grands hôtels des années 1960 comportent beaucoup de grandes salles, ce que nous avions constaté, et ne sont pas forcément bien isolés, l’électricité ne coûtant pas grand chose jusqu’à récemment. Le tourisme évolue, les familles préfèrent les petits chalets, et le prix de l’énergie augmente. A Bessheim, son grand-père avait installé sa propre production d’électricité hydraulique.

Départ pour Oslo, jour le plus ensoleillé, sympathique au revoir, car nous reviendrons.

Norvège à ski de fond: de Fefor à Skeikampen, 22-25 mars 2024

Par une journée superbement ensoleillée, nous descendons de Fefor au lac de Gala par un chemin parfois assez raide, un peu tortueux, en forêt.

Notre petit groupe est sympathique, nous sommes avec Olga, et Paul et Heather de Gryon. Après quelques kilomètres de descente, une belle balade de forêts de pins en clairières nous régale les yeux. Un des groupes de Suisses avec leur moniteur nous dépasse, oh là là…. Quelle vitesse, nous sommes des canards à côté d’autruches. En plus, la balade le long du lac nous demande bien des efforts car nos skis collent; il fait chaud et nous sommes en-dessous de 800m. d’altitude. Au bout du lac, la remontée sur l’autre rive jusqu’à Gala est bien progressive. Les lacs sont totalement enneigés, apparaissent gelés mais aucun parcours ne les ont traversés jusqu’à maintenant. Gala semble être une station touristique,  de nombreuses maisons de vacances en bois rouges, brunes ou vertes jalonnent notre parcours. Des piquets plantés en biais les protègent des congères. Nous approchons de Pâques, donc d’une période de haute saison après celle de février mais le village est mort, un seul des deux hôtels est ouvert, une épicerie, une cafétéria et le stade de ski Peer Gynt complètent l’infrastructure de la station au 32 résidents. Nous traversons quelques pistes de ski alpin, neige excellente, jolie pente. L’étape a été technique pour nous, descentes, neige collante et  montées, mais courte (14 km). Il fait si beau que je repars tourner au-dessus de Gala avec Olga. Nous grimpons à une tour d’observation offrant un point de vue exceptionnel sur les sommets du Jotunheimen (1500-2300m) et ceux de Rondane (2000m env.). 

L’hôtel est une grande bâtisse en bois rouge, surplombant le lac de Gala, à 950 m.  d’altitude. Bois vert à l’intérieur, feu de cheminée, vue magnifique mais une maison à l’architecture moins chargée d’histoire que l’hôtel de Fefor, moins chaleureux aussi à bien des points de vue.

Samedi 23, temps gris, le soleil est voilé le matin, il neige au milieu de la journée, puis jour blanc. La région offre de magnifiques parcours, du vrai ski de fond et non du passage de forêts…

Nous évoluons dans une neige légère, la carte montre des petits lacs et des marais.

Quasi plus aucun pin, de petits bouleaux très espacés bien recouverts de lichens, le paysage est vaste, les traces datent du matin, la neige est si légère qu’il suffit d’un petit peu d’air pour les recouvrir. Plus d’un mètre de hauteur de neige, nous pique-niquons à raz la piste. Surtout, ne pas enlever les skis si on veut s’en éloigner au risque de s’enfoncer jusqu’en haut des cuisses, posture assez fatigante pour s’en sortir !  Nous regrettons le soleil, la vue doit être grandiose. Nous croisons un peu plus de skieurs, quelques dizaines pour toute notre journée de 24 km, pas plus et heureusement car ce qui fait le charme de ces journées est vraiment d’être dans une nature si peu domestiquée. Leur vitesse et leur aisance nous laissent pantois, descentes et virages comme s’ils avaient des skis de piste, la tenue Patrouille des Glaciers de Pierre-Olivier ne détonne pas du tout, beaucoup moins que notre style et notre rythme.

Dimanche, départ pour Skeikampen, il neige, 28 km à parcourir qu’elle que soit la météo.

Parcours facile, descentes douces mais nos skis collent, ceux d’Olga encore plus que les nôtres. Alors, elle demande de l’aide à l’unique skieur rencontré, qui lui offre un fart dont il peut se passer. Quelle gentillesse !

Nous repartons un peu plus rapidement, j’avais surpris et un peu attristé Pierre-Olivier en prévoyant notre arrivée vers les 17h30 ! Après 7 km et une intersection, deux options pour le tronçon suivant se présentent. Nous choisissons sans le savoir celle non dammée, le Peer Gynt officiel. Nous voilà nous tordant les chevilles en enfonçant plus ou moins, je colle un peu, nous suivons les branches de bouleau plantées pour marquer le tracé, les quelques piquets jaunes, la couleur de notre parcours du jour.

C’est magique, encore plus grandiose. Lisant ces jours « Blanc » de Sylvain Tesson, je médite: ne pas penser à l’arrivée, juste profiter de s’immerger dans le blanc,  penser au prochains mètres pas plus. Pierre-Olivier réalise notre avance, ou plutôt justement notre lenteur, alors pas de photos, pas de vidéo; c’est bien la première fois qu’il stresse un peu alors que je plane dans cette ambiance fabuleuse. Les descentes sont bien plus faciles sans traces, un vrai plaisir d’enfant de retrouver les réflexes du bon vieux chasse-neige. En approchant de Fagerhoy, le relief descend toujours plus, nous rattrapons un peu notre retard mais je suis sûre que nous nous rapprochons du passage de la fameuse machine, déesse du skieur de fonds.

Le ciel se dégage, il a arrêté de neiger depuis un bon moment, et la vue apparaît progressivement. A Fagerhoy, un restaurant avec un hall nous abritant pour notre pic-nic; nous nous réjouissons toujours de nos sandwichs vu que chacun les prépare à son idée au buffet du petit déjeuner. Autant dire que nous faisons une cure de poissons. Nos thermos sont aussi remplis de thé par les hôteliers , c’est l’organisation bien pratique  de la région. Il vente, mais la vue est splendide pour les derniers 14 km de descente tracée jusqu’à Skeykampen, une station de ski de fond et de ski de piste.

Zone de pêche, si, si…

L’hôtel Thon aux buffets incroyables nous plonge dans une ambiance de vacances de ski moins dépaysante que celle des jours précédents. Finalement, nous arrivons à 17h., avec 30 km dans les jambes et les bras et sommes heureux d’avoir choisi par hasard l’option plus sauvage; j’ai adoré les descentes, le décor vierge.

Un seul skieur nous a dépassé vers la fin: mais comment fait-il avec des skis plus étroits que les nôtres pour laisser une trace de deux lignes juste peu enfoncées et parfaitement parallèles ! Il a la gentillesse de nous dire qu’il a profité de nos traces jusqu’à notre rencontre, il a plutôt dû être surpris de la profondeur, de l’irrégularité et de l’indiscipline de nos empreintes !

Le lendemain, nous quittons Olga à Lillehammer, Paul et Heather suivaient déjà la veille un autre itinéraire, et prenons le bus pour Otta où un conducteur nous attend pour les 70 derniers kilomètres jusqu’à Bessheim.

Norvège à ski de fond: de Dalseter à Fefor, 18- 21 mars 2024

Le train nous mène au nord, à Vinstra en passant par Lillehammer au paysage aussi peu enneigé que chez nous. Nous sommes rassurés en constatant que nous roulons encore 50 minutes en voiture en prenant bien de l’altitude pour atteindre Espedalen. Là, l’hôtel Dalseter (940 m) est au-dessus d’un lac; en face les sommets du parc national de Jotuntheimen sont bien visibles, magnifiquement blancs, vaporeux, arrondis, montagnes sans rochers apparents. 

Derrière l’hôtel, des pentes plus douces, et des sommets émergeant aussi de la forêt, tout aussi blancs immaculés. Aucun hameau n’est visible aux alentours. L’hôtel a un charme vieillot, des immenses baies vitrées arrondies donnant sur le lac face aux montagnes; sommets de plus de 2000 m. situés à quelques dizaines de kilomètres.

La vue est impressionnante, les courants d’air aussi! Les possibilités de ski de fonds sont multiples et variées, autour du lac, et en hauteur. Le lendemain, nous choisissons un parcours montant au-dessus de la forêt, dont la limite est aux environs des 1000m, passant par une petite hutte Bingsbua (1179m), et continuant par une boucle avant de revenir à l’hôtel par une trace inférieure, en forêt. La forêt est mélangée, pins, sapins et bouleaux bien espacés, des traces pour le ski de fonds, plus qu’il n’en faut, bien des intersections sans panneaux, mais j’ai la carte.

Nous montons progressivement, sortons de la forêt, la vue est splendide, un paysage large, des sommets tout blancs, une impression d’être sur le toit du monde. De ce côté-ci du lac, un seul sommet, le Ruten (1515m), nous domine.

Le vent commence à bien nous fouetter, le chemin tracé à la dameuse reste toutefois visible, deux montées courtes mais bien raides me demandent bien des efforts pour progresser en ciseaux. Nous atteignons l’abri, petite cabane de 2 mètres sur 3, en bois rouge, mignonnette  à l’intérieur. Olga, notre compère de Boston nous y attendait. Le paysage est grandiose. Immense, balayé par le vent, aucune trace de civilisation n’est visible.

Nous pique-niquons, alors qu’Olga, nettement plus expérimentée que nous surtout dans les descentes préfère rentrer à l’hôtel pour le dîner. Après cette pause requinquante, nous suivons le tracé juste visible jusqu’à la séparation: la boucle pour rejoindre la forêt en tournant autour d’un petit sommet ou la descente par la piste directe, ou en dernier ressort faire demi-tour. L’option initiale de la boucle est vite abandonnée, trop exposée au vent. Nous avançons jusqu’au point le plus haut, bien soufflé et voyons la trace qui descend, chic,… Mais elle file droit en-bas, une belle descente dans une fine couche de poudreuse, avec d’autres skis !  Nous déchaussons pour descendre plus rapidement, c’est notre première sortie et un jour blanc parfait, l’impression d’être dans de la ouate.

Nous atteignons la forêt et une magnifique trace avec une bonne débattue aux mains, n’ayant pas pris le temps de sortir nos gros mouffles de peur que le peu de visibilité et de traces disparaissent pendant ce temps. Le passage d’Olga est effacé, nous découvrons en-bas son message: « déchaussez, c’est raide ». Le temps de rentrer, il se met à neiger, ce n’est que 15 heures, Olga ressort, les tracés en forêt sont protégés. Nous contemplons la neige et profitons du sauna. Là, Pierre-Olivier fait la connaissance de Paul, skiant avec sa femme sur le parcours dit de Peer Gynt, comme nous, et habitant à quelques centaines de mètres de chez nous.

Grand soleil  le jour suivant, départ pour Fefor.

Nous montons très progressivement dans la forêt, des traces de grosses pattes très profondes coupent notre tracé, un orignal matinal probablement. Le paysage est doux, nous contournons le Ruten et la colline de la veille, nous sommes seuls dans cette nature ensoleillée.

Après la sortie de la forêt, un grand plateau ensoleillé, et un hameau désert à cette saison. Paul et sa femme arrivent par un autre tracé, nous faisons une pause à une table pic-nic, et Olga nous rejoint.

Nous sommes les 5 à rejoindre Fefor, 18 km plus loin, personne d’entre nous n’a croisé qui que ce soit. Nous laissons le Jotuntheimen derriere nous, pour découvrir de nouveaux sommets au loin, ceux du parc de Rondane.

Le paysage est vraiment d’une grandeur, d’une luminosité fabuleuse; à tel point que nous rallongeons l’étape par le tour du lac avant de rejoindre notre hôtel à Fefor au charme magique.

Rondins à l’extérieur et à l’intérieur, feux de cheminée, nous arrivons juste avant 16h. L’accueil est chaleureux, on nous recommande de profiter de la collation de l’apres-midi: biscuits, thé, café et soupe délicieuse aux champignons. Après ce goûter, sauna, piscine et splendide buffet nous attendent.

Le lendemain, grand tour autour du lac et au-delà, nous prenons la route un petit bout où la neige a recouvert la glace, pour éviter une portion ventée.

Maisons de vacances, petites routes, plateau, une ambiance de plaine, le souci reste que les portions ventées sont celles sans piquets. Pierre-Olivier apprivoise l’application adéquate mais avancer grâce à cet outil est possible sans être agréable; en tout cas moins que de rentrer et profiter de la piscine! La neige est légère, parfois nous faisons la nouvelle trace dans de la poudreuse, les descentes sont plus faciles. À l’hôtel quelque quarante clients, dont une bonne quinzaine de compatriotes de Suisse orientale, Tessin et Liechtenstein améliorant leur technique sous l’oeil de compétiteurs confirmés, grand-papa ayant participé aux jeux de Sapporo, papa compétiteur accompagné du fiston de 10 ans qui a avalé 30 km la veille. Les participants vérifient avec enthousiasme la pure logique: améliorer la technique, pour plus de kilomètres et moins de fatigue. Je pense à l’aviron, ne pas s’essouffler à mouliner, mais diminuer la cadence pour plus d’efficacité. Je médite et écris en regardant la neige tournoyer dans les rafales de vent. Tout est calme, et la couleur du bois parfait l’ambiance chaleureuse.

A la rencontre de l’hiver norvégien: voyage en train à Kiel puis ferry pour Oslo, 14-18 mars 2024

Départ à 5h du matin, nous laissons notre chalet lové dans les primevères, les crocus et les perce-neiges. L’ aventure a commencé bien des jours auparavant avec les pesées des habits, essais de sacs à dos et de sacs à skis. Fin prêts, le dimanche, nous défaisons le sac à skis planifiant une sortie à peaux de phoque le lundi. Deux heures plus tard, les recommandations arrivent aux nouvelles, le degré de risque d’avalanches passe à 4, nous remballons tout le matériel définitivement pour le départ.

Agréable trajet de Bâle à Kiel, en compagnie d’une famille avec des enfants collectionnant les petits wagons jouets offerts par la DB. Nous sommes obligés de rire du « das ist mein » d’un petit garçon protégeant ses trésors; il nous rappelle tellement le « à moi » de la petite tête bouclée de notre famille.

Kiel  Le temps est doux, nous nous trouvons un excellent restaurant turc. Le lendemain matin, visite du petit musée maritime.

Kiel, ville tournée vers l’activité portuaire depuis sa création, a joué un rôle catalyseur des mouvements sociaux à la fin de la 1ère guerre. La mutinerie des marins en novembre 1918 refusant d’aller combattre les Anglais et rejoints par les ouvriers lors de leur retour au port, initie les soulèvements ouvriers dans tout le pays, faisant tomber l’empire au profit d’un régime d’essence socialiste.

Moi j’associais Kiel aux régates internationales de dériveurs. Or, déjà aux jeux olympiques de 1936,  Kiel a été essentielle comme vitrine de propagande. Les régates, la voile en dériveurs comme loisirs, datent  ici du début du 20ième siècle. Pour 1972, et les jeux olympiques assombris par l’attentat contre les athlètes israeliens à Munich, la ville avait été rénovée, le centre olympique pour la Voile construit pour donner une image pacifiste et cosmopolitaine de  l’Allemagne.

En se baladant, la ville est calme pour ne pas dire déserte, peu d’édifices anciens, Kiel était une ville hanséatique mais a été fortement détruite lors de la seconde guerre. Les rues marchandes au centre présentent une architecture d’après-guerre assez insipide, mais nous tombons sur un magnifique magasin de matériel pour la randonnée. Les messages de ses vitrines sont claires, i) la belle saison arrive, sortez vos filets anti-moustiques, sprays etc….et II) les enfants sont aussi capables de marcher, le choix d’habits et de sacs à dos adéquat est complet. Pierre-Olivier rêve devant les petits grills à bois.

Le ferry de Color Line nous plonge dans un autre monde. Des imitations de rues marchandes, des beaux restaurants au style un peu rétro, des bars de différents styles s’alignent dans ce palace flottant de 15 étages. Nous visitons, je trouve le casino aussi triste qu’ailleurs, par contre les glaces italiennes ne renient pas leur origine.

Rencontre insolite: les clubs norvégiens de motards conduisant des Harley Davidson, environ 400 personnes, sont sur le bateau pour une sortie et « boire quelques bières » avec de la bonne musique, dixit un participant. Au début de l’après-midi, nous nous demandons s’il y a un réservoir de bière comparable à ceux pour le fuel. La musique est digne des US, accordée à l’âge moyen de ces « rockers » donc au nôtre, je vous laisse imaginer le public, défilé de cuirs noirs et de tatouages. Nous sommes invités à les joindre le soir pour la soirée rock’n roll; ce sera après le spectacle de danse et musique, et le buffet. Décidément nous voyageons déjà bien loin de nos alpages à peine partis, c’est génial sauf que bagages compacts obligent, nous n’avons que des bottes fourrées. Nous passerons la soirée en « chaussons-cabanes » même pour danser.

Oslo Le lendemain, des rafales de vent et de neige nous accueillent à Oslo. Un temps idéal pour le musée national présentant entre autres des œuvres de peintres norvégiens du 19 ième siècle. Le plus célèbre, Munch n’est toutefois de loin pas notre favori.

Après la tempête du samedi, un dimanche froid et parfaitement ensoleillé, ciel bleu, mer aux reflets d’acier,  luminosité parfaite, netteté glaciale. Au musée « Fram », nous nous plongeons (pas trop !) dans les expéditions maritimes norvégiennes. Entre 1890 et 1912, la course est lancée pour i) atteindre le Pôle Nord, ii) trouver le passage du nord-ouest permettant de relier l’Atlantique au Pacifique en longeant le Groenland par l’ouest, puis les îles bordant l’Alaska pour terminer par le détroit de Béring et ainsi ouvrir de nouvelles voies commerciales iii) découvrir le Pôle Sud. Les Norvégiens ont été les premiers à planter leur drapeau au Pôle Sud et au Pôle Nord. Les expéditions avaient aussi comme objectifs la recherche de nouvelles populations de baleines et surtout l’acquisition de connaissances scientifiques.

Un des chefs d’expédition, Amundsen a été le premier professeur d’océanographie et un passionné de la culture Inuit.  La vie partagée avec eux parfois durant tout un hiver lui avait appris à vivre dans ces conditions extrêmes, acquis décisif pour sa réussite au Pôle Sud. Par exemple, les Norvégiens ont combiné leur propre connaissance du ski avec l’utilisation des traîneaux et des chiens  des Inuits, et ont embarqué dès le départ une centaine de chiens à bord.  Ils ont construit une base, un village de tentes comme les Inuits nomades avant de s’élancer vers le Pôle Sud. Les Anglais sont arrivés avec du matériel beaucoup plus lourd motorisé mais ont progressivement échoué et aucun n’a survécu.

Le musée présente les deux principaux bateaux norvégiens ayant servi à ces expéditions: le Fram, deux versions avaient été construites, la seconde  ayant permis d’atteindre les côtes de l’Antarctique et le Pôle Sud le 15 décembre 1911 avec 16 chiens et 2 traîneaux et le Goya ayant atteint le détroit de Béring. Ces voiliers équipés de moteurs pour gagner de la vitesse sont évidemment passionnants à visiter.

La vie à bord avec les chiens, les cochons pour la viande fraîche, le peu de place, l’absence de confort exigeait vraiment des marins motivés, et extrêmement résistants, mais l’exposition insiste sur leurs intérêts et compétences multidisciplinaires et complémentaires, telles que la médecine vétérinaire,  la botanique, la physique pour étudier l’aspect magnétique et la dérive des glaces. Un des explorateurs, Nansen, était encore en plus un artiste peintre.

Puis nous changeons d’époque en visitant le musée dédié à l’explorateur Thor Heyerdahl, explorateur, anthropologue, biologiste né en 1914, et à son radeau le Kon Tiki. L’origine du projet était de montrer qu’un radeau construit selon des techniques très anciennes, en balsa, sans aucun clou par exemple, pouvait permettre d’atteindre la Polynésie depuis le Pérou. Ceci afin d’ étayer l’hypothèse que les îles polynésiennes n’ont pas été colonisées à partir de  l’Australie qui est plus proche, mais à partir de l’Amérique du Sud, au niveau de l’Equateur environ, grâce à des vents et des courants constants permettant à un radeau de progresser toujours vers l’ouest. L’aventure Pérou-Marquises entreprise en 1947 est relatée par le film tourné par Heyerdahl lui-même. Cette expédition a réussi, mais a dû surmonter des dangers importants bien différents de ceux prédits. Par exemple, l’abondance de poissons, donc de nourriture était énorme alors que l’idée admise était que seule les côtes en  regorgeaient. Les attaques de requins ont été un des gros dangers.

Un autre radeau, le Ra, construit en papyrus, est aussi présenté, utilisé pour  relier le Maroc au Vénézuela dans le contexte de l’étude de certaines similarités entre les peuples d’Afrique du Nord et d’Amérique centrale.

Camino Primitivo : Arrivée à Saint Jacques de Compostelle le 12 octobre

De Lugo, nous savons que nous serons nombreux, en plaine, et partons donc prêts à affronter la foule et le goudron avec la motivation d’arriver, plutôt que de vivre pleinement dans le présent.

Partis à la frontale, parmi des pélerins à l’équipement très léger, le cordon s’étire vite, la frontale et le petit pull sont à nouveau rapidement rangés, pour parcourir les 27 km du jour jusqu’à Ferreira.

Pas de village, quelques auberges à pélerins disséminées dans la campagne et un café restaurant, l’occasion d’un bon souper avec notre ami Markus; aussi notre dernier dortoir minuscule, à 4 paires de lits superposés, l’ultime « sortie de notre zone de confort ». Les trois dernières étapes nous « décevront en bien »,  beaucoup de chemins de forêts, peu de goudron et ayant découpé un peu différemment que la majorité le parcours restant, nous ne sommes pas envahis par le monde et pouvons marcher à notre rythme, seuls parfois. Les toits sont en tuiles rouges, les portes des maisons traditionnelles ont une  treille de vigne comme auvent.

Les hòrreos (greniers) sont en bois, nous avons quitté le granit.

A Melide, nous retrouvons notre petite équipe et allons manger des poulpes et des coquilles saint Jacques dans une grande cantine, (pulperia Ezequiel), une étape incontournable pour les pélerins.

Départ de Mélide
Tableau électronique pour réserver une chambre à Santiago, rappel à la réalité.
Le Camino s’invite partout même dans les pubs de bière.
Pub avec la maxime du poète Machado, Caminante, no hay camino, se hace camino al andar. Marcheur, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant.
Dans les faubourgs de Santiago, nous avions pris la même photo en 2017 avec nos vélos.

Nous arrivons sur la grande place devant l’imposante façade de la cathédrale de Santiago le 12 octobre, vers 15 heures.

Km 0, au centre de la place

Le bureau des pélerins affiche quelque 1840 pélerins arrivés avant nous ce jour. Que d’émotions diverses, de la joie d’avoir terminé sans encombre, en forme, d’avoir vécu cette longue expérience à deux comme tant d’autres, le sentiment aussi de ne pas réaliser que nous vivons la fin d’une aventure. Pierre-Olivier ressent un peu de solitude. Nous tournons dans cette magnifique vieille ville avec notre sac, nos souliers de marche, reculons le moment de les déposer, car nous ne serons plus pélerins.

La météo est magnifique, la place et la grande façade baroque de la cathédrale resplendissent sous le soleil et le ciel parfaitement bleu, des pélerins arrivent, quelques-uns à vélo, l’ambiance est gaie, pas saturée de monde. En fait, le jour de la fête nationale, les magasins sont fermés, les restaurants n’offrent pas de menu du jour, la ville est plus calme et les tours opérateurs y sont absents. Finalement, une excellente date pour arriver et visiter.

A peine arrivés, des jeunes demandent à nous interviewer pour leur projet de Master: « quelle était notre motivation, le moment le plus difficile, sentons-nous plus forts d’avoir vécu ce chemin,…. » Marrant, en 2017 avec nos vélos, nous avions été interviewés exactement de la même façon; nous devons avoir le profil-type et certains Masters perdurent ou se répètent. Nos émotions, les réponses sont toutes positives, mais complexes. Oui c’est une expérience unique; sans être religieuse pour nous, elle n’est pas uniquement sportive, les rencontres, la répétition jour après jour, l’absence d’autres activités que la marche sont des aspects philosophiques cruciaux. Le changement quotidien d’hébergement est un aspect important à gérer, en augmentant le confort, les contacts diminuent, jusqu’à sortir de l’esprit du Camino. Ce n’est pas la plus magnifique des randonnées, c’est autre chose, et le plus difficile a été de dormir, et non de marcher même en ayant parcouru plus de 800 km depuis le 5 septembre et quelque 1600 km cette année.

Nous logeons dans un dortoir immense de 11 lits, bien espacés, au séminaire Mayor, un immense ancien monastère, une vrai fin de Camino, et les seules places trouvées quatre jours auparavant.

Le lendemain, nous nous réveillons dans le bruit de la tempête de vent et de pluie. Nous visitons l’intérieur de la cathédrale, pris dans des queues sans fin, au milieu de groupes de touristes guidés.

Par ce déluge, la visite du reste de la vieille ville est escamotée au profit du musée des pélerins, qui s’avère très instructif au sujet de l’histoire légendaire de Saint Jacques, du développement du chemin et de son énorme impact sur tout le développement du nord de l’Espagne. La « découverte » du corps de St Jacques, arrivé de Jérusalem dans une barque, avait servi l’unification des Espagnols contre les Sarrasins sous le roi Alphonse II (9ieme s.) et initié le pélerinage. La re-découverte au 19 ième siècle des « soi-disantes reliques », cachées au 16 ième pour les sauver du pirate Drake (anglais) sous le presbytère de la cathédrale, a donné une seconde vie au pélerinage tombé en désuétude et permis un essor économique important, avec notamment le développement de villes telles que Burgos, Léon. Le phénomène des pélerinages, présent dans toutes les religions, l’effort physique répété et les opportunités de réflexion qui en découlent y sont aussi abordés.

L’aspect philosophique de notre périple sera complété par la messe des pélerins, cathédrale comble, sermon en espagnol parlé lentement, nous sommes tous impressionnés de ce que nous comprenons, en français et en anglais. Par chance, le Botafumeiro, grand encensoir de plus 60 kg mû par une corde de 100kg et 65 mètres de long, est actionné, nécessitant  8 écclésiastiques pour se balancer très rapidement à 20 mètres au-dessus de nos têtes. A l’époque, les pélerins dormaient dans la cathédrale et l’encens couvrait les odeurs de l’air vicié.

Puis, aussi utopique que cela puisse paraître, nous arrivons à retrouver nos amis et à manger ensemble sans trop de bruit ambiant pour nous quitter avec beaucoup d’émotions.

Nos amis Antonius et Joannes sont déjà loin, par chance nous avions pu passer un moment avec eux, café Churros d’adieux, très émouvants pour moi vu les contacts et les échanges partagés.

Le lendemain, nous partons en bus au cap Finisterre. En espagnol, Fisterra signifie « là où la terre finit et où elle commence ». Ce cap a été vénéré bien avant la chrétienté. Avec l’hypothèse de la Terre plane, pour trouver l’endroit où disparaît le soleil, les Anciens avaient suivi la voie lactée et les couchers de soleil et identifié ce cap comme l’ultime point géographique de disparition du soleil. Nous sommes en effet à l’extrémité ouest de notre continent.

Le phare et le cap sont touristiques, la route permet d’y accéder en quelques pas, nous revenons de notre ballade (6 km, c’est rien !) pour rejoindre une plage moins prisée indiquée par notre charmant hôtelier. Le ciel est nuageux, quelques surfeurs s’en donnent à cœur joie dans de bons rouleaux.

Vu la chaleur des derniers jours, notre week end de repos à la fin de notre voyage pouvait s’imaginer à la plage, mais le soleil a disparu avec nos pas sur le Camino. Nous essayons d’engranger du repos pour affronter la nuit en bus, puis le train jusqu’à Bordeaux, et les heures de TGV par Paris qui nous ramèneront à Gryon, à condition de partir tôt de Bordeaux pour pouvoir avoir une correspondance jusqu’à notre village perché.

Et si…. Les trains de nuit étaient mieux rétablis, et si…. La France pouvait une fois se traverser d’ouest en est… Et si…. Le kérosène était taxé comme l’essence. Les utopies ne doivent jamais être oubliées, elles ont toujours une vérité en d’autres temps.

Camino Primitivo du barrage Grande Sublime à Lugo, 4-8 octobre 2023

Après notre journée de mauvais temps sur les crêtes, une journée de grande descente jusqu’au barrage de Grande Salime nous attend. Nous partons juste avant le lever du soleil, au-dessus des nuages, pour y plonger par un magnifique large chemin en lacets nous faisant perdre 800 mètres d’altitude sans s’en rendre compte.

Au barrage, des bâtiments peut-être liés à la construction des installations, la pinède se remettant d’un incendie datant de quelques années, la vallée profonde engloutie me font percevoir l’endroit comme lugubre. Mais de l’autre rive, la vue est belle, l’ambiance entre pélerins excellente à la terrasse et nous faisons une rencontre inattendue: un couple à vélo solaire couché, dont l’un tire une remorque; intéressant concept !

De crête en crête, de chemin creux en chemin en balcon, au-dessus des nuages le matin, nous foulons les glands,  les châtaignes, quelques noix, et parfois un véritable tapis d’aiguilles de pins.

Nous ramassons encore et toujours quelques pommes au passage. La région est granitique, les toits sont en ardoise,

les maisons en pierres cossues et des plaques de granit mises verticalement délimitent les pâturages, parfois le chemin.

Les crêtes sont souvent coiffées d’une série d’éoliennes, la campagne est vide, peu peuplée, nous sommes pendant quelques jours à plus de 800 m. d’altitude, l’élevage est seul présent.

Nous traversons des hameaux en ruine, et devant ces grands espaces, j’ai vraiment l’impression que la nature a un potentiel, que bien des familles pourraient mieux vivre ici que dans des situations critiques en ville. Je rêve à des programmes structurés, encadrés pour former des personnes volontaires et les aider financièrement à démarrer une exploitation. L’investissement serait compensé à terme par des économies d’aides sociales de toutes sortes. Le Camino pour méditer… et lancer des idées utopiques.

Dans le hameau de Castro, nous sommes logés en « Casa rurale », dans une ferme ou nous avons un souper gargantuesque, comportant tomates du jardin, soupe aux légumes, viande mijotée absolument exquise, vin maison, élaboré à partir de raisins cherchés plus au sud et marc à la myrtille, évidemment « de la casa » aussi. Nous sommes avec nos deux amis Hollandais et un journaliste produisant un film sur le Camino, intéressante soirée bien requinquante.

Un autre soir, à O Covedo, plus personne n’a envie de restaurant, nous sommes saturés de viande, de frites et de thon dans la salade. Nous allons faire les courses et passons une soirée sympathique ratatouille, pâtes, Rioja, à côté de notre étendage. Notre vie: marcher, lessive dans les mini-lavabos, manger et rencontrer !

Question d’organisation, un petit coup de stress chez tout le monde: nous allons :

(i) arriver à 100 km de St Jacques, distance minimale du pélerinage pour avoir la Compostella, donc l’attestation,

(ii) rejoindre en même temps le Camino Frances suivi par la majorité des pélerins,

(iii) arriver à Lugo le week end de la grande fête de Saint Friolan et

(iiii) à Saint Jacques le jour de la fête nationale espagnole, le 12 octobre. Donc, impossible de se mettre dans des circonstances plus complexes pour se loger.

A Lugo, nous prenons la dernière chambre dans un petit hôtel situé dans la cour intérieure du séminaire (formation des écclésiastiques), un immense bâtiment entouré d’une grande barrière, avec portail fermé. Après plus de 30 kilomètres, pour la première fois, malgré les outils modernes, ou plutôt à cause de leur mauvaise utilisation dûe à la fatigue, nous tournons autour de ce grand bâtiment austère un certain nombre de fois avant d’atteindre notre logement. Nous devions sonner au portail pour entrer dans ce parc et y découvrir, caché, notre hôtel.

La fête bat son plein, deux immenses scènes ont été montées, de plus petits groupes folkloriques  jouent et dansent dans les rues. La gaïta, cornemuse galicienne, est très présente, nous rappelant que les Celtes n’ont pas été qu’en Bretagne. Après nos journées dans les collines, le plongeon dans la foule est brusque.

La vieille ville est entourée de remparts romains, très bien conservés, sur lesquels nous pouvons déambuler, par un soleil et une chaleur torride;

mieux vaut en descendre pour viser une « Pulperia » (petit restaurant servant le poulpe à la galicienne ») ou une bonne glace !

Camino Norte, La Isla-26-septembre – 3 octobre 2023

Au revoir l’océan, pélerin moderne, tu suivras de près ou de loin les routes, et suivras en toute sécurité le balisage pour traverser les rond-points. Mais la récompense du jour est la plus charmante des auberges, petite, nous y retrouvons différentes têtes connues, passerons du bon temps autour de la table de jardin.

Après le souper, nous recevons notre tenue du jour lavée, séchée, pliée, la chemise de Pierre-Olivier qui a normalement droit à son rinçage chaque soir ne doit pas comprendre d’où viennent tant d’honneurs. Sergio tient son auberge Donativo (prix libre) pendant 6 mois, 7 jours sur 7 et a un petit bus de camping pour s’évader d’octobre à mars.

Il est aidé ces temps par Géraldine, avec qui nous garderons contact. Ici on ne leur pose pas la question de savoir s’ils ont été à Santiago, mais sur combien de caminos ils ont cheminés. En effet, des chemins mènent aussi à Compostelle de la côte ou de l’intérieur des terres portugaises ou de l’Andalousie. De leur côté, nous quittons le discours de savoir si cette longue marche nous plaît pour la question: comment vis-tu ton camino ?

Demain sera le jour de la séparation entre la continuation du chemin de la côte par Gijon ou la bifurcation d’Oviedo suivie en principe du Camino Primitivo,  les discussions vont bon train car tous n’ont pas encore fait leur choix.

En résumé, la plupart des pélerins suivent en Espagne un itinéraire est-ouest parallèle à la côte mais à l’intérieur des terres, appelé Camino Frances. Nous l’avions suivi sur une bonne partie à vélo en 2017. Une minorité suit l’itinéraire côtier, Camino Norte, que nous avons rejoint à San Sebastian, dont un quart des pélerins bifurque pour passer par Oviedo, et traverser les montagnes asturiennes pour passer en Galice (Camino Primitivo) alors que la fin du chemin côtier (Camino norte)  suit encore l’océan avant de rejoindre Santiago, sans prendre d’altitude. L’itinéraire « montagnard » s’appelle Primitivo car c’est le plus ancien, celui qui a été initié en 834 par le roi des Asturies Alphonse II, basé à Oviedo. En pleine guerre contre les Musulmans et aux prises à des troubles internes, la découverte « miraculeuse »  de la « tombe de Saint Jacques » à Compostelle lui a permis de renforcer le royaume et la chrétienté contre les Musulmans (Reconquista). La raison historique explique le nom, mais les différences entre les deux itinéraires ne concernent pas seulement le type de paysages mais aussi le type de chemins, le Primitivo comportant plus de chemins, moins d’asphalte et plus de dénivelé. Nous avons adoré les chemins côtiers mais la perspective du goudron et la météo chaude confirment notre choix du Primitivo.

Le lendemain, nous y voyons des amies du chemin, nous ne sommes pas seuls dans notre choix. Nous atteignons Oviedo en bus pour les derniers kilomètres dans la banlieue (autoroutes, goudron).

Oviedo nous séduit, sa vieille ville dont la cathédrale et l’hôtel de ville est perchée sur une colline. Très vivante, animée, regorgeant de terrasses et de restaurants, petites vinothèques, fromages alléchants, le pélerin ne peut profiter de tout, même avec un jour de pause gourmande.

Serveur de cidre
Poissons salés des îles Feroe
Fontaine du Moyen âge

La chaleur est revenue de plus belle, même le soir. Cette ville est donc à l’origine du développement du Camino. Je ne vous détaillerai pas l’aspect religieux, ses histoires de bout de suaire conservé etc… ne me touchent pas. Nous nous sentons tellement plus conquis par un autre angle de vue, présenté dans le fabuleux livre « Le bâtard de Nazareth » de Martin Arditi.

Citations régulières des Droits de l’homme sur le chemin, patrimoine mondial de l’Unesco.

La cathédrale n’en est pas moins belle et son retable, foncé et chargé au premier coup d’œil,  peut être vu comme une véritable bande dessinée de l’histoire de la vie de Jésus, version classique.

Et c’est parti pour le Primitivo,

Primitivo à gauche.

La sortie d’Oviedo est très agréable, en plus Pierre-Olivier  trouve une coiffeuse sympathique sur son chemin. Allégé car tondu, mais alourdi par un peu plus de nourriture, nous cheminons dans une nature sereine. Châtaigniers et marronniers sont toujours nombreux, nous longeons parfois une rivière, passons de nombreux ponts moyennageux construits pour développer le chemin. La campagne est nettement moins construite, nous traversons même des hameaux sans chiens alertant tous ses congénères de notre arrivée (ils sont toujours derrière des barrières ou attachés, jamais de peur mais pas non plus de sérénité). Nous nous sentons très bien sur ce nouveau parcours.

Après deux jours de cheminement en forêts à marcher sur un lit de glands, parfois en  balcon au-dessus de la vallée mais sous la crête parsemée d’éoliennes, à monter et descendre des champs aux pâturages, nous atteignons Sallas, vieux village de caractère où notre auberge donne sur la place. Dans les quelques rues, quelques dizaines de pélerins, rares sont les autres touristes, rares aussi sont les têtes inconnues.

Nous finissons la soirée avec des pélerins colombiens à la guitare et au chant, et Antonius au saxo, en compagnie aussi de trois Françaises.

Sans le savoir, notre « famille camino » est en train de se constituer tout naturellement.

Nous dormons très bien au second étage alors que le lendemain matin,  des airs bien fatigués émergent de l’étage d’en-dessous. La Ronfleuse,…. Une dame a ronflé si fort que certains l’ont enregistrée, d’autres ont changé de dortoir dans la nuit ou sont partis plus tôt le matin, en expliquant à une pélerine matinale et fumeuse la raison…. puis en réalisant que c’était justement la personne en question. Elle devient célèbre.. . Le soir suivant, nous quittons les meilleurs couchettes près de la fenêtre pour un fonds de petit dortoir peu aéré à son arrivée dans notre dortoir. L’autre sujet de radio Camino est la météo. Il y a tout le temps du soleil, nous nous liquéfions chaque après-midi en fin d’étape, les 30 degrés doivent parfois de nouveau être atteints alors qu’un jour de mauvais temps est prévu. Il tombe le jour où nous pourrions passer par les crêtes, une variante de quelque 20 km sans couverture pour appeler des secours, sans eau ni ravitaillement, non recommandée dans le brouillard car les pélerins s’y perdent, mais panoramique par beau temps. Notre famille de 7 esquisse de multiples solutions, laisser passer le mauvais temps (et la Ronfleuse) un jour pour passer par cette variante, dite « des Hospitales » en raison des trois ruines d’hôpitaux pour pélerins sur son parcours ou renoncer; chaque option modifiant les réservations d’auberges des prochaines nuits. Finalement, le soleil, le ciel bleu sont si magnifiques la veille, la pluie et le brouillard semblent si anachroniques que nous décidons de nous y engager le lendemain sans attendre. La pluie annoncée diminue tandis que les nuages prévus les jours suivants augmentent. Nous partons à la frontale avec nos trois amies, Babette, Maryvonne et Carla, et la bruine s’invite… Ce sera en effet le jour de bruine et brouillard, peu épais toutefois. Nous sommes obligés d’en rire, d’autant plus que nous n’avons aucun souci pour trouver notre chemin, ambiance magique, impression d’être seuls sur la ligne d’horizon ventée.

Camino Norte, Santander-La Isla, 18-25 septembre 2023

Nous nous baladons dans la rade de Santander, les grands immeubles sont de style homogène puisque tous reconstruits après un important incendie accidentel en 1941. Nous grimpons en-haut du centre Botin pour la vue, visitons la cathédrale puis allons vers le vieux quartier des pêcheurs.

Nous attendions plus d’animation, un marché aux poissons par exemple; alors lorsque nous voyons un attroupement attendre devant un grand bâtiment gris au bord de l’eau, nous nous renseignons. Ah non, c’est l’école, les bambins vont sortir tout soudain. Encore un autre monde parallèle,  le plus important, le quartier vit et n’est pas si touristique. Ayant humé l’atmosphère de cette ville, nous la quittons directement en train, celui-ci étant inévitable plus loin pour traverser le Rio Pas.

Une mini étape en fin d’après-midi, une soirée déluge où nous mangeons avec un couple de pélerins hollandais fêtant ces jours leur anniversaire de mariage et son anniversaire à elle, puis une étape dans une belle campagne, mais toujours sur le goudron, nous amènent à Santillana del Mar.

Voie romaine

Un magnifique village, une église pleine de curiosités ou quand la religion était source d’histoires symboliques dramatiques, comme cette sainte Juliane, qui, ayant refusé de se marier tire le démon de la chair en laisse. Autre curiosité: des fonts baptismaux avec Daniel dans la fosse aux lions, et nous sommes le jour de mon anniversaire !

Mais que de touristes, le Camino fait partie du décor, nous sommes les animaux du zoo.

C’est notre premier souper et déjeuner entre pélerins pris à l’auberge où nous dormons, un ancien couvent en grosses pierres avec jardin intérieur, alignée de mini-chambres d’une paire de lits superposés chacune.

De plus, nous avons la possibilité de participer à un moment d’échanges mené par une nonne carmélite, en habits civils.

Trinité en matériaux, déchets trouvés sur la plage

Plusieurs langues, une trentaine de personnes,  nous avons l’impression que pour beaucoup la motivation d’entreprendre le Camino est une combinaison de plusieurs éléments: un temps à part, un objectif demandant de tenir dans la durée, la nature, un retour à l’essentiel, mais ce ne sont que des impressions. Les mots verdure, immersion dans la nature, nombreuses vaches, chevaux reviennent dans les commentaires des New Yorkais, et moi qui en ai marre du goudron, de l’odeur de l’herbe fermentée dans les ballots plastiques entre autres odeurs camagnardes et de l’habitat dispersé! Mais le vert partout, les nombreux chevaux, c’est incontestablement beau;  des jeunes Sud-Africains nous le confirment,  cela les impressionne.

Le long de belles falaises, nous arrivons à Comillas.

Université pontificale

Les étapes sont courtes car cette ville sera synonyme de journée culturelle pour nous. Nous voudrions y fêter mon anniversaire, mais je suis arrivée en ayant tellement mal à un pied que le moral n’est pas au beau fixe. Soirée fruits de mer quand même, magnifiques maisons anciennes à balcons fermés par des vitres à petits carreaux, voie romaine, plage  entourée de rochers; la météo a changé d’un coup et la journée plage farniente est remplacée par la visite du « Caprice de Gaudi », la première création de cet architecte du 19ième s. Des couleurs, des fleurs, de la lumière, des formes loufoques, vraiment spécial et gai, avec de magnifiques bois exotiques dans chaque pièce.

Après Comillas, nous alignons trois bonnes étapes (28-33km) puis une matinée de beaux coups d’œil sur l’océan, de prairies vertes peuplées de vaches aux très longues cornes se terminant abruptement à l’océan, de reliefs et rochers calcaires aux couches sédimentaires verticales ou obliques bien  visibles, de forêts de marronniers et d’eucalyptus.

Les Picos de Europa

La météo est parfaite, du beau soleil, de la chaleur mais plus de canicule humide. Nous quittons la Cantabrie pour entrer dans les Asturies aux couleurs et à la végétation plus exotiques. Certaines maisons sont colorées en bleu, et sont assez tarabiscotées telles des mini-palais. Ce sont les maisons des Indianos, Espagnols ayant fait fortune à Cuba ou ailleurs en Amérique latine. Le caprice de Gaudi avait été commandé par un Indianos.

Les jardins ont des bougainvillier en fleurs, des palmiers, un air mexicain flotte dans l’air.

Buffones: Sur ce sol calcaire, l’océan à creusé la côte et par endroits, la mer s’enfile sous le sol. La puissance des vagues et du ressac peut la faire jaillir en geysers. Quand nous passons, l’océan est relativement calme, pas de geysers, mais des rugissements terribles venant du sol,  de la prairie au bord du sentier ou de fissures, de petits gouffres d’où jaillissent de la poussière, de la brume lors des plus forts grondements.

En route, tout naturellement, Anita, une pélerine parisienne se joint à nous; échanger, partager la vue de cette belle côte est un plaisir, comme de découvrir le soir le cidre local. Il est servi en petits verres, et doit être oxygéné, soit par le serveur qui le verse de très haut dans le verre tenu en biais, soit servi d’une bouteille avec une pompe. C’est un cidre plus clair, plus acide, bien différent du cidre breton. Nous voyons d’innombrables vergers de pommes, des citronniers bien chargés, quelques orangers en route, mais il est évident que les pommiers sont vraiment les plus nombreux.

Le serveur de cidre

Dans notre organisation, les points à résoudre sont toujours

-De trouver les logements quelques jours en avance, beaucoup de pélerins trouvent que c’est un point problématique, cet aspect ne nous pose pas de soucis pour le moment.

-Le déjeuner: partir vers 7h30 ou 8 heures avec quelquechose dans le ventre. Seules les auberges pour pélerins servent un déjeuner,  celles offrant des dortoirs et lits superposés mettant en évidence notre besoin d’un minimum de confort pour avoir un sommeil récupérateur. Les boulangeries ouvrent souvent tard, nous apprécions parfois en route les toasts avec purée de tomates des bars, ou mangeons des joghourts en chambre, histoire d’éviter à Pierre-Olivier de partir à jeun.

-Devons-nous porter un pique-nique ou allons-nous croiser des buvettes ? Le début du Camino nous avait gâtés, mais dans les Asturies, certains tronçons ont été  longs le ventre creux. Nous ne sommes ni des pélerins marchant deux heures avant la première « morce » , ni de ceux liquidant l’étape sans croquer au moins une tortillas, l’occasion de joyeuses retrouvailles. Nous essayons d’avoir toujours deux pommes dans notre sac. Dommage que la qualité des fruits des épiceries soit catastrophique, septembre et aucun bon raisin !

-Le souper, souvent au restaurant, toujours de magnifiques salades, mais pas avant 20h., servies en terrasses et il fait vraiment frais ou froid le soir.

La conclusion de cette organisation est que la liseuse et le Scrabble sont en trop dans notre sac à dos, nous sommes occupés par l’essentiel, dormir, manger, c’est le Camino.

-Le séchage….

Les chaussettes à la ceinture
Ou sur les bâtons

A la Isla, dernier village au bord de l’océan avant de s’engager dans les terres pour Oviedo, nous nous sommes octroyés un après-midi plage. Il souffle, de bons petits rouleaux, mais installés à l’abri près de rochers, c’est sieste au soleil et trempette. L’eau n’est pas froide et c’est pourtant l’Atlantique, impressionnant, agréable pour nous à défaut de  l’être pour la planète.

A La Isla, bien des hôtels et restaurants sont fermés, dans d’autres petites stations, les écoles de surf se suivaient mais n’étaient plus trop actives, ambiance de fin de saison, peu de touristes, on se retrouve, revoit des pélerins perdus de vue depuis quelques jours, l’énergie du réseau variable se déploie.

Camino Norte, San Sebastian, Bilbao, Santander, 8-17 septembre 2023

Départ tôt le matin de San Sebastian par la plage. Une  première:  Pierre-Olivier démarre sa journée sans avoir bu son café. La chaleur nous rend matinaux, mais les cafés et restaurants étaient eux plus vivants la veille au soir pour nous servir des tapas de délicieux poivrons entre autres. Après 1h30 de marche, nous pique-niquons pour déjeuner, vers 9 heures. Vergers, prairies, bétail, nous cheminons sur un chemin en balcon à environ 200 mètres au-dessus de l’océan.

Après un arrêt à une buvette tenue par des bénévoles indiennes très dévouées, le chemin rejoint Zarautz, station balnéaire aux grands immeubles bordant la plage, suivie d’une route en corniche,  où le goudron par plus de 30 degrés anihile l’appréciation de la vue, avant d’arriver à Getaria.

Le gîte est à l’entre sol
Tentative de séchage au bord du carrefour

L’auberge de pélerins est un rez de chaussée d’immeuble, long dortoir avec juste une imposte, lits superposés fermés chacun par un rideau…. 100% d’humidité dehors, idem dedans avec moins d’air. Malgré les avertissements très clairs du  gérant concernant l’impossibilité de sécher quoi que ce soit par cette météo, en bon pélerin, nous nous mettons à la lessive, puis partons pour une trempette dans l’océan vraiment tempéré.      

Ma découverte du jour: le moyen le plus rapide de sécher mon pantalon est de le remettre mouillé juste après l’avoir lavé. En marchant, il sèche vite alors que toute autre tentative de séchage est une perte de temps.

De Getaria à Deba, belles forêts, belles prairies, belles vues sur l’océan puis nous décidons de prendre le Camino classique. C’est vert, beau mais la descente sur Deba est extrêmement raide et nous regrettons de ne pas avoir pris le chemin côtier, comme ma cousine. Nous admirons quand même les couches de schiste plissées et érodées affleurant l’eau ou s’élevant verticalement en falaises bordant l’océan

A Deba, faute d’avoir pu réserver dans une auberge pour pélerins, j’avais trouvé un appartement;  grande surprise: nous logeons dans le plus bel immeuble de Deba, avec un très grand balcon. Décision est immédiatement prise d’acheter du souper au lieu d’aller au restaurant, notre balcon est trop incroyable. Nous rejoignons la plage par un jeu d’ascenseurs, je me baigne puis vais aider Pierre-Olivier à ramener les courses. Soirée souper froid sur terassse de luxe. Nous avons une chambre de trop mais ne retrouvons malheureusement pas le pélerin allemand rencontré ce jour pour la lui proposer. Jadis important port de commerce exportant la pêche et la laine vers les Flandres et l’Angleterre, Deba a gardé le charme d’une petite localité, c’est samedi les familles sont à la plage.

Le jour suivant nous mène par forêts, prairies, vues sur les collines bien vertes et finalement descente bien boueuse à Markina Xemein. La journée a été un peu moins chaude, le thermomètre de la rue reste à 28 degrés toute la soirée et la nuit est étouffante, mais nous logeons dans un appartement de la vieille ville rénové par un artiste, décidément le Camino nous réserve des surprises. C’est assez rare de disposer d’un livre présentant les photos des lampes, petites tables design et en même temps de les utiliser pour… poser les chaussettes du pélerin.

Les belles forêts,  les bonnes montées continuent par la suite, arrêt au monastère de Zenarruzako , descente si raide que des passerelles d’escaliers y ont été installées, chic cela nous sauve de la boue glissante pour atteindre une buvette servant des pains grillés à la tomate, et des tortillas mais ceci est une évidence: c’est ce que nous pouvons manger partout et en tout temps ! Le chemin de forêt est charmant mais long, 27 km avec un dénivellé positif et négatif d’environ 800 mètres pour atteindre Gernika.

La ville met en évidence le bombardement de 1937 par l’aviation allemande, qui appuyait les troupes de Franco; ma cousine et moi ressentons une certaine grisaille,une lourdeur triste bien que les rues aient été très animées jusque tard le soir.

Le trajet pour Bilbao nous fait traverser les monocultures d’eucalyptus, quel désastre ! Nous observons de près, même de si près que notre chemin se perd dans les traces des engins, l’abattage, l’élagage et la coupe des eucalyptus par une seule machine de taille modeste. Ces arbres modifient le sol et pompent l’eau des nappes phréatiques profondément, autant ils sont agréables en forêt mélangée, autant nous sommes là devant une aberration écologique.

Je finis l’étape en bus, comme prévu alors que Pierre-Olivier rejoint Bilbao à pied, bien fatigué de s’être rajouté 15 km de goudron.

Bilbao: ville surprenante, ville post- industrielle muée en ville culturelle, un peu hétéroclite avec des bâtiments art nouveau, une  vieille ville trés animée où il fait bon pour être dehors jusque vers 22 heures. L’architecture du musée Guggenheim nous enthousiasme suggérant un cargo, référence à la construction navale, piler économique dans le passé. Les collections exposées par contre sont intéressantes mais ne nous réconcilient décidément pas avec l’art moderne (Yayoi Kusama).

De Bilbao à Santander, nous marchons la plupart du temps sur de petites routes sans trafic ou parfois le long de plages magnifiques. Certaines comme celle de Castro Urdiales sont bordées d’immeubles, mais celle avant Noja est bordée de maquis, nous y faisons un arrêt baignade bien mérité après l’étape de la veille. En effet, à Castro Urdiales, nous logions au milieu de la rade alors que la vieille ville déterminant le début de l’étape jusqu’à Loredo est 2 bons kilomètres plus loin. Le matin, nous longeons donc la plage une paire de kilomètres, tête branchée sur 32 km, pour arriver à la borne « Loredo 34 km » , puis une fois sortis de la ville à une borne de peinture plus récente « Loredo 35 km » ! Nous tenons un bon rythme, l’humeur n’est plus à la contemplation, pour arriver à Liendo où nous comprenons que la fin de parcours à été modifiée pour emprunter un chemin de côte, plus long, avec bien du dénivellé mais plus beau. Suivant les indications d’une locale et pour garder l’étape à 35 km (mieux que 39!) et 800 mètres de dénivellé, nous suivons l’ancien tracé, décor déprimant de hameaux mal entretenus, sur fonds de bruit d’autoroute et atteignons Loredo vers 18 heures.

Notre vie est un peu plus compliquée sur ce camino que lorsque nous cheminions en France. Les auberges municipales ou paroissiales ne peuvent pas se réserver, de plus nous appréhendons les grands dortoirs, surtout par nuits très chaudes. Dans nos différents hébergements, chambre chez particulier, appartement, pension, auberge de pélerins privée, donc réservable, ni le déjeuner ni le souper ne sont proposés. Nous devons donc sortir le soir trouver un café proposant un plat, (le menu du jour n’ est souvent servi qu’à midi), se mettre aux tapas délicieux mais n’étant pas à même de ravigorer un marcheur en fin de journée ou encore commander une grande salade, délicieuse et souvent très copieuse mais ne correspondant manifestement pas aux habitudes locales. Nous nous régalons de calamars également ou prenons plaisir à un petit déjeuner en terrasse à Santana, le samedi matin comme bien des familles du coin. La campagne est bien verte, beaucoup de chevaux, chèvres, vaches parfois dans des pâturages surplombant la mer, aux roches karstiques apparentes. L’architecture en général et les fermes n’ont aucun charme, elles sont parfois entourées d’objets non débarrassés. Marcher sur le goudron, hameaux mal entretenus, parfois bruits de l’autoroute mettent à mal la motivation, même si nous sommes heureux d’être partis, de revivre cette expérience de vie de nomade à pied. Le paysage doit-il être toujours beau pour apprécier l’expérience, sauter les tronçons trop urbains pour garder majoritairement de bons souvenirs ou vivre l’expérience d’un cheminement purement à pied sont l’objet de nos méditations. Nous optons pour la sortie de Bilbao et celle de Santander en transports publics.

Le dernier tronçon le long des côtes avant Santander est splendide, l’arrivée en bateau permettant de traverser le Rio de Solia une jolie expérience.

Encore 3 km de ville pour arriver dans un mini hôtel hyper fonctionnel, hyper propre, totalement déshumanisé, rendant le téléphone portable indispensable. En fait quelques chambres sur un étage d’immeuble accessibles par code. Auberge pour pélerin robot ? Nous sommes un peu désarçonnés. A l’intérieur d’un petit hall, 6 key boxes avec les clés des chambres. Nous y avons  très bien dormi après un repas, au café péruvien du coin, petite arrière-salle, en compagnie d’une joyeuse et jeune tablée gérant l’écran TV géant mais l’ayant éteint pour la prière avant leur repas.